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Flying Taurus : Blog Chrétien

Techniques de soi

3 Février 2013 , Rédigé par Flying Taurus Publié dans #Philosophie

Les technologies du soi

 

Depuis l'Antiquité, il existe des sources documentaires qui décrivent des pratiques philosophiques mêlant exercices cognitifs, psychomoteurs et affectifs, exécutés par les adeptes des différentes écoles dans le but de se construire soi-même. Le stoïcisme en compte beaucoup, et toutes les anciennes écoles philosophiques en ont pratiqué[1]. La même approche se retrouve dans les arts martiaux[2].

 

En général, il s'agit toujours d'une chose très simple : acquérir des capacités corporelles, artistiques et philosophiques relevant du "souci de soi" pouvant être mises en œuvre sous différents modes dans différentes situations de l'existence. Et il s'agit toujours de pratiquer des exercices mentaux et corporels qui ont vocation à développer ces capacités. Ces capacités sont des capacités de gestion technique et méthodique de soi, relatives donc à une « technique[3] » et à une «méthode[4]».

 

Les technologies du soi aujourd'hui

 

De nos jours, la formation professionnelle réinvestit cette thématique de la gestion technique et méthodique de soi en complétant ses formations professionnelles traditionnelles avec des pratiques de méthodes de relaxation comme le yoga, le tai-chi, la sophrologie, la PNL, ou encore les arts martiaux asiatiques... Chaque méthode comporte des exercices de "développement des capacités personnelles", "programmation positive", de « gestion des émotions », « gestion du stress », "amélioration de l'image de soi, connaissance de soi, affirmation de soi", etc. Ces intentions pédagogiques sont regroupées sous les thématiques habituelles de "développement personnel" et d'"épanouissement", et leur transformation en objectifs pédagogiques opérationnels passent toujours par la construction, en plus des compétences psychomotrices poétiques[5] et cognitives pratiques[6] , de "compétences méthodologiques", sensées permettre le développement de capacités personnelles. Et c'est en fournissant des « accompagnements » que se déroulent ces formations. Pour permettre à l'apprenant d'acquérir ces capacités d'organisation et de réflexion – capacités à la fois personnelles et collectives – mais aussi d'action et d'auto-évaluation de ses actes – qu'ils soient pratiques ou poétiques - ces accompagnements sont faits selon une pédagogie non-formelle voire informelle.

 

Tentative de formalisation des pédagogies du souci de soi

 

Chaque fois qu'elles sont mobilisées, les "techniques de soi" prennent la forme d'exercices qui consistent en un travail sur soi. Or, il semble que ce travail prend ordinairement trois formes : des exercices cognitifs, des exercices psychomoteurs et des exercices psychoaffectifs qui doivent être pratiqués de manière régulière et répétée si l'apprenant veut en retirer des effets positifs. De plus, ils sont toujours pratiqués en interaction, soit avec d'autres personnes, soit seul sur soi-même, et toujours sous la forme d'exercices d'entrainement assortis de mises à l'épreuve réelles et régulières.


Ces exercices ne sont aujourd'hui plus autant issus des courants philosophiques antiques. De fait, ils font partie du domaine de l'entraînement physique et sportif autant que des thérapies psychologiques, et ils se sont diversifiés selon des approches théoriques variées : depuis des courants de pensée anglosaxons du coaching-nursing-counseling, jusqu'à la psychologie analytique de Jung, en passant par les théories psychosociologiques et psycho-thérapeutiques classiques, le tenir conseil, le management des compétences..., voire même l'éducation familiale, et bien sûr, les sciences de l'éducation.

Il y des cadres théoriques variés, mais le fondement est toujours le même : mettre le ou les apprenants en présence d'un ou plusieurs formateurs qui les accompagnent, par la mise en place de cadres et d'exercices, et qui parfois transmettent des informations qu'ils doivent apprendre à traiter au préalable.  Leur but : générer de manière active une action, c'est à dire un comportement, dont la préparation (l'entraînement) et le résultat (l'objet ou la prestation obtenue) est observé, analysé et corrigé (feedback).

 

Théorisation de la formation identitaire

 

Il est possible de théoriser l'acquisition de compétences identitaires à travers cette démarche d'exercice au "souci de soi". En effet, il semble qu'en sciences de l'éducation, ces pratiques sont envisageables à travers la prise en compte du sous-système "enseigner-apprendre" (cf. Daniel Hameline, Les Objectifs Pédagogiques). En redéfinissant des objectifs pédagogiques opérationnels sous la forme de construction de compétences pratiques et méthodologiques, on peut arriver à un résultat cohérent.

 

En effet, il est possible, dans une formation pour adultes, de qualifier et de quantifier des processus de construction de compétences de dimension identitaires. Par exemple, en définissant au départ d'une formation pour adultes – par la négociation d'objectifs pédagogiques opérationnels, des critères qui correspondent à la description des compétences identitaires.

 

Ainsi, des capacités de maîtrise de soi, de combativité, de résistance, etc. seraient par exemple mobilisables dans des simulations d'entretiens d'embauche, sous forme de  comportements observables – précision des gestes exécutés, rythme cardiaque, énergie mobilisée, discours, posture, habillement, etc. Et, de fait, ces comportements qui « laissent des traces » seraient les témoins de compétences construites grâce à la formation.

 

Construction des compétences

 

Si tel est bien le cas, alors il est possible de déduire, à partir de l'observation rigoureuse des comportements, la présence intérieure hypothétique des capacités de construction identitaire, induites au cours de la formation par une construction rigoureuse des compétences méthodologiques au cours d'une formation d'adultes.

 

Par exemple, l'observation des compétences se ferait au moyen de l'évaluation d'une liste d'activités types, comme des entretiens d'embauche, des recherches d'emploi par internet, des visites d'entreprise, des appels téléphoniques d'employeurs (activités comportant des savoirs, des savoir-être et des savoir-faire …) définies elles-mêmes par des objectifs pédagogiques opérationnels rigoureux, tels que « savoir écrire une lettre de motivation », « respecter les règles d'hygiène », « effectuer un repérage de l'entreprise avant l'entretien », etc. alors on aurait des indications sur ce que le l'apprenant doit être en mesure d'exécuter au sortir de la formation, et qui serait en quelque sorte le reflet de sa construction identitaire subjective.

 

Ces objectifs pédagogiques identitaires, pour être opérationnels, devraient, outre comporter la définition de contextes particuliers, être assortis d'exercices types portant comme condition de réalisation des compétences comportementales observables.

Ces compétences comportementales seraient de trois types :

 

1) cognitives (relatives aux savoirs : par exemple des règles d'hygiène-sécurité, la juridiction, les adresses des ressources documentaires pour la recherche d'emploi, la connaissance des entreprises locales,...),

2) psychomotrices (savoir-faire : déplacements réalisés, posture corporelle, gestuelle de la poignée de main...),

3) affectives (savoir-être : habillement, ponctualité, expression du visage, positionnement de la voix, l'occurrence de certains mots dans le discours ...).


Évaluation

 

Au cours d'une formation comme celle-là, une évaluation régulière des compétences identitaires pratiques et méthodologiques pourrait donc se faire, avec l'emploi d'exercices liés aux technologies de soi. Il serait par exemple possible de définir des méthodes de formation qui permettent la construction des compétences méthodologiques à travers la définition d'objectifs pédagogiques opérationnels, tels que : "à la fin de la formation, l'auto-description orale de l'apprenant devra comporter des termes faisant précisément référence aux nouvelles activités qu'il désire mettre en place dans son environnement, aux nouvelles connaissances qu'il souhaite acquérir, aux relations sociales que chaque membre projette de mettre en place, aux savoir-faire qu'il aimerait partager ou consolider...".

 

Chaque objectif pédagogique serait en fait assorti de situations d'évaluation déterminées, pour pouvoir inférer avec précision le niveau de compétence réellement acquise, et donc la qualité de la démarche de construction de soi mise en œuvre par l'apprenant.

 

En somme, la formation devra donc définir comme objectifs pédagogiques opérationnels des comportements observables au sein du sous-système "enseigner-apprendre". Ces comportements observables, chez le formateur comme chez l'apprenant, valideront le développement, toujours hypothétique - parce qu'inobservable - des capacités mentales impliquées dans la construction de soi, sous forme de présence/absence effective de comportements prédéfinis dans des situations types.

 

L'acquisition des compétences pratiques et méthodologiques au cours de la formation sera donc une preuve indirecte de construction de soi chez l'apprenant. Cette construction identitaire serait en fait le résultat de l'utilisation de techniques de soi dans la relation d'apprentissage entre un ou plusieurs formateurs et un apprenant ou un groupe d'apprenant.

 

 

Synthèse

 

Selon une approche pragmatique, la construction des comportements doit être traitée selon deux dimensions inséparables :

 

-  La nature des pratiques de formation des formateurs en insertion, notamment en ce qui concerne le travail du sens des parcours,

-  Les moyens matériels et le cadre socio-économique des structures de formation d'insertion

 

Ces deux dimensions semblent problématiques. D’une part, parce que la diversité des méthodes de formation utilisées en insertion professionnelle et sociale est énorme. En effet, il existe un grand nombre de pratiques d’accompagnement. Nommées selon le cadre de formation, elles sont tantôt « coaching », tantôt « management des compétences ». Chaque technique de formation particulière s’intéresse à un modèle de formation global orienté vers la construction identitaire des personnes qui soit susceptible d’être pratiqué à grande échelle par tous les professionnels du secteur de l’insertion.

 

D’autre part, ces dimensions sont problématiques parce que la stabilité matérielle des structures de formation fait souvent défaut au secteur sous-institutionnel de l’insertion professionnelle. Ainsi, les structures qui devraient assurer la formation des publics précaires sont souvent elles-mêmes d’une grande précarité. Leur identité est-elle même en construction permanente. Ces structures de formation semblent peiner, de plus, par manque d’efficacité d’un modèle économique classique, à générer de l’activité « rentable » pour pérenniser la prise en charge des publics précaires.

 

Problématique

 

Lorsqu'il est question de formation des adultes en insertion, la capacité de conduite de soi ne peut être d’emblée traitée en termes de compétences observables. Si le retour à l'emploi effectif est l'objectif de la formation, il est nécessaire que des capacités soient d’abord mises à jour puis utilisées pour construire des compétences. C’est seulement une fois ces compétences particulières acquises que l'apprenant pourra accéder à l'emploi. Or, ces compétences ne sont pas purement professionnelles : elles ressortent également du domaine de la définition de soi, du rapport que l'apprenant entretient avec son identité, son histoire, sa conduite. Si les compétences professionnelles font partie des compétences nécessaires à l'accès à l'emploi, elles ne sont donc pas suffisantes. Il faut en identifier d'autres qui soient plus spécifiquement liées à l'apprenant lui-même. C'est-à-dire qu'à côté des compétences professionnelles, il doit exister un autre champ de compétences : le champ des compétences identitaires.

 

Une analyse des pratiques andragogiques est donc nécessaire, pour identifier dans quelles mesures ces compétences identitaires sont prises en compte par les objectifs pédagogiques existants, et pour voir quels sont les objectifs pédagogiques compatibles avec leur construction.

 

Notre questionnement nous permet d'aboutir à la problématique suivante :

 

Quelles sont les pratiques andragogiques qui permettent la construction de compétences identitaires, et comment fonctionnent-elles ?



[1](cf. Pierre Hadot, qu'est ce que la philosophie antique? - et Michel Foucault - articles sur "l'herméneutique du sujet" dans Dits et Ecrits)

[2](voir à ce sujet l'excellent article de Françoise Boudreau, 1992 : http://www.erudit.org/revue/socsoc/1992/v24/n1/001087ar.pdf).

[3]Relatif à la tekhnè = industrie, technique, métier, vertu = réalisation d'une œuvre extérieure à l'agent = science poétique de production matérielle d'objets, extérieure à l'agent; Cf. ARISTOTE (1990), Ethique à Nicomaque, 1094a., Traduit par J. Tricot, Vrin, Paris, p. 31

[4]au sens aristotélicien du terme : méthodos = recherche spéculative = relative au choix rationnel, délibéré et réfléchi, qui utilise la recherche, l'enquête et l'investigation, pour accomplir une marche régulière, disciplinée, méthodique en vue de la réalisation de la praxis, c'est-à-dire des actions de l'homme qui ne produisent aucune œuvre distincte de l'agent, qui n'ont d'autre fin que l'action intérieure, immanente. Cf. ARISTOTE (1990), Ethique à Nicomaque, 1094a., Traduit par J. Tricot, Vrin, Paris, p. 31

[5]Au sens de poiesis, voir supra, 1

[6]Au sens de praxis, voir supra, 2

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